10/03/2022

MANGER DU SENS | Réinventons les modèles

BIO : FACE AU RECUL DES VENTES, LA FILIERE CHERCHE L'ISSUE

Par Baptiste Langlois - Reporterre
  • agriculture responsable
  • consommation responsable
  • transition climatique
  • transition écologique
  • transision alimentaire

« Le bio n’est pas foutu », assure un maraîcher. La filière s’inquiète tout de même : en 2021, les produits s’écoulent au ralenti dans les magasins spécialisés, les grandes surfaces, et lors des ventes en direct.

La situation, jugée « préoccupante », valait bien un courrier envoyé aux 60 000 adhérents pour les remobiliser. Pour « passer ce cap ». Le 11 février, Scarabée Biocoop, société coopérative comptant douze magasins dans la métropole rennaise, publiait sur son site internet une lettre ouverte dans laquelle elle fait état « d’une baisse de fréquentation [qui] affecte nos magasins et restaurants depuis mai dernier ». En plus de cet appel à la fidélité de ses clients, elle les interroge, via un questionnaire, « afin de connaître les raisons pour lesquelles une partie d’entre vous ne fréquentent plus, ou moins, nos magasins ». Scarabée Biocoop, dont l’équilibre reste « fragile », a ouvert quatre petits magasins en 2021, ne possède « pas de trésor caché » et a déjà pris des mesures « en interne, pour limiter les dépenses un maximum ». Une telle situation n’est pas propre à la coopérative rennaise : elle touche avec plus ou moins d’effets l’ensemble de la filière bio, qui subit un coup de frein.

De sa ferme située dans le Gâtinais, au sud de l’Essonne, Pierre-Nicolas Grisel chiffre à 10 % la baisse de volumes des commandes en magasin bio depuis juin dernier. Cette filière représente la moitié de ses ventes. « Sur douze magasins, j’en ai perdu trois, dont deux qui ont fermé », note l’éleveur de L’Orée de Milly, encore incertain de pouvoir écouler toute sa volaille. Même les ventes à la ferme, certes « plus chaotiques et variables », séduisent moins. La tendance se fait aussi sentir dans les marchés. À celui de Dreux (Eure-et-Loir), Benjamin Soulard constate « un peu de baisse sur le dernier trimestre, mais elle est atténuée par une clientèle fidèle ». L’agriculteur et éleveur, à la tête de Paniers de légumes bio 28, met en avant la force des Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) dont il est partenaire pour amortir l’érosion des ventes.


Comme en supermarchés, les ventes en direct de produits bio ont fléchi depuis l’été 2020.

Mais là encore, un fléchissement se perçoit dans le taux de renouvellement des paniers. Si Benjamin Soulard s’en sort bien — il estime son renouvellement à 70 %, entre 5 et 10 % de moins que d’habitude —, d’autres se montrent plus inquiets. Le réseau Amap Île-de-France remarquait, fin janvier, « qu’il est plus difficile qu’à l’accoutumée d’atteindre le nombre de contrats nécessaires pour garantir la pérennité des fermes ». Cette part manquante « varie selon les Amap entre 20 et 30 %, et jusqu’à 50 %. Il semblerait que l’Île-de-France ne soit pas la seule région touchée, d’autres réseaux d’Amap font aussi le même constat », écrit le réseau francilien.

Tout le secteur alimentaire baisse, le bio plus que le reste

Les clients se sont également détournés des produits bio en grande surface. Les ventes ont diminué de 3,1 % entre 2020 et 2021. « C’est la première fois que l’on constate un tel recul, note Emily Mayer, spécialiste des produits de grande consommation à l’institut IRI, interrogée par ReporterreCes dernières années, la croissance se situait entre 10 et 20 %. La baisse, en 2021, est transversale. » Structurelle, même, selon Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, puisque « l’alimentaire de manière générale perd 1 % par rapport à l’an dernier. Il est un peu difficile d’être alarmiste pour le moment », tempère-t-elle. Et de rappeler que seuls les chiffres de la grande distribution ont été publiés, soit 55 % des débouchés du bio. L’Agence Bio, qui œuvre au développement et à la promotion de ce type d’agriculture, rendra son panorama complet du marché en juin prochain.

Les producteurs bio, surtout ceux des secteurs aux volumes déjà conséquents, ressentent ce tassement. En 2021, plusieurs entreprises de collecte de lait bio ont annoncé le déclassement d’une partie de la production. C’est-à-dire la vente au prix du lait conventionnel. Des organisations de producteurs de l’ouest de la France ont, eux, estimé qu’il y avait plus d’un million de poules bio en excédent face aux besoins actuels du marché. Des conditionneurs d’œufs ont donc revu la production à la baisse quand des géants laitiers (Lactalis, Sodiaal) ont annoncé, l’été dernier, l’arrêt de l’accompagnement des agriculteurs dans la transition vers l’agriculture biologique (AB). Sans effet pour le moment : le taux de « déconversions », de départ du bio (retraites comprises), reste stable, autour de 4 %, assure Laure Verdeau.

« Lâcher-prise » des clients

Comment expliquer ce recul général ? Les raisons sont multifactorielles. La plus récurrente : le prix. « En grande distribution, le bio est en moyenne 50 % plus cher », détaille Emily Mayer, de l’institut IRI. « J’ai eu plus de retours de personnes qui font attention à leur budget, abonde Benjamin Soulard, maraîcher et éleveur de poules bio. Dernièrement, une d’entre elles a tiqué sur le prix des épinards. » La flambée de certains prix, de l’énergie et de l’essence, ou le contexte anxiogène global — pandémie de Covid, guerre en Ukraine plus récemment — avec une élection présidentielle à venir, détournent peut-être certains consommateurs. Pour Arnaud Daligault, maraîcher à Montreuil-le-Gast et président de l’association des agriculteurs bio d’Ille-et-Vilaine (Agrobio 35), il s’agit plutôt « d’un lâcher-prise ».

Après « une année 2020 atypique, avec du télétravail, moins de gaspillage » selon Laure Verdeau, les clients « ont décompressé, se sont relâchés », poursuit Emily Mayer. « Ils se sont davantage tournés vers des plats cuisinés et de la livraison à domicile », ajoute-elle. Pierre-Nicolas Grisel, l’éleveur de volailles bio, confirme : « Ils recherchent plus du prêt-à-manger que du prêt-à-cuisiner. L’engagement s’est aussi distendu. Venir chercher son produit à la ferme pose plus de problèmes. » Le réseau Amap Île-de-France corrobore en notant que « l’indisponibilité aux horaires de distribution et le manque de temps pour gérer son panier représentent les deuxième et troisième motifs de départ » des clients, après le déménagement.

Confusion dans les rayons et manque de communication

Dans les rayonnages des supermarchés, « contrairement aux années précédentes, il n’y a plus d’ajouts de nouvelles références », remarque Emily Mayer qui décrit, en parallèle, « un éclatement du marché du “mieux consommer” ». La floraison de pseudos « labels » ou marques, des « sans » (nitrites, OGM, sucres ajoutés, etc), ont « distrait les consommateurs de bio, embraye Laure Verdeau. C’est un vrai problème. Comme cette orientation vers le local en défaveur du bio, alors que les deux ne sont pas opposables. Il y a un déficit d’information sur le fait que le bio est le label le plus fiable, qui offre le plus de garanties et qui est le plus respectueux de la consommation d’eau et de l’environnement. »

L’étal de l’association AMABEL, dont Paniers de légumes bio 28 est l’un des partenaires, au marché couvert de Dreux (Eure-et-Loir), le lundi 28 février.

Ce qui fait dire à la directrice de l’Agence Bio « qu’on est les Bernado de l’histoire, on est muet. Le bio a doublé en cinq ans mais on est trop petit pour le promouvoir et l’expliquer ». Pour stimuler la demande en bio, l’enjeu serait de lancer des campagnes de communication. Mais Laure Verdeau ne possède qu’un budget de 600 000 euros — après une rallonge de 200 000 euros du ministre de l’Agriculture. « On ne peut rien faire », regrette-t-elle, comparant ce chiffre aux millions des géants de l’agroalimentaire. En plein salon international de l’agriculture, la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab) en appelle aux interprofessions pour jouer pleinement leur rôle. « En France, c’est [leur] mission d’assurer la promotion des produits agricoles. Elles sont autorisées à cette fin par l’État à prélever des taxes sur les productions. Aujourd’hui la bio ne bénéficie pas de ces budgets promotionnels »déplore-t-elle. Un accord a été trouvé pour la première fois le jeudi 3 mars : les interprofessions se sont accordées avec les agriculteurs bio pour une première campagne de promotion.

Sur le terrain, les producteurs s’en remettent à un travail de petits pas, de pédagogie auprès de chaque client. « On invoque le côté local, fraîcheur, saisonnalité », indique Benjamin Soulard. Au marché de Dreux, son employée, Gwenaëlle Le Roux, ancienne assistante de direction, avance « la qualité gustative et nutritionnelle des produits. Je prends le temps d’expliquer. Plus que jamais, les clients ont besoin d’avoir confiance ». Arnaud Daligault approuve : « Le mouvement ne va pas s’arrêter. Il y a eu une surprise, un point d’alerte, mais les choses vont aller en s’améliorant. Le bio n’est pas foutu. »

Source (y compris crédit photo) : Baptiste Langlois - Reporterre

Retour à l'entité