Pas de café, de chocolat, d’avocat ou encore d’huile d’olive. Le chef Florent Ladeyn ne cuisine que des ingrédients de saison produits à moins de 50 km. Un choix osé : en 2010, quand il reprend l’Auberge du Vert Mont, sa région, les Flandres, était moins connue pour son terroir que pour son agro-industrie. Mais le succès est au rendez-vous et contribue à soutenir le retour d’une agriculture plus durable.
Vous venez de participer à un ouvrage collectif intitulé « Le monde de la gastronomie face à l’urgence écologique – Récits engagés. » Quelle en était l’intention ?
Florent Ladeyn : J’ai été sensibilisé très tôt à l’environnement. Et maintenant, l’urgence écologique, je la vis au quotidien, dans mon état de cuisinier, mais aussi d’homme et de père. Je ne veux pas me réveiller à 80 ans en me disant que je n’ai rien fait. L’alimentation, c’est le seul domaine où on peut avoir un impact direct et concret sur la planète. Trois fois par jour, on choisit à qui on donne son argent, et pour quels types de produits. De grands chefs étoilés ont déjà changé leurs pratiques. Je l’ai fait à l’Auberge du Vert Mont. Mais cet univers reste une micro-niche, qui ne touche que la partie de la population ayant accès à ce type d’établissements. C’est ce qui m’a motivé à investir d’autres formats de restauration, plus accessibles : estaminets, street food… C’est en touchant un maximum de gens que l’on devient réellement impactant. Un changement profond aura lieu quand tous les cuisiniers, et pas seulement ceux de la haute gastronomie, seront guidés par l’écoresponsabilité. C’était l’objet de cet ouvrage : montrer que c’est possible et que cela donne du sens à notre métier.
Votre démarche serait née d’une carbonade. C’est-à-dire ?
F. L : La carbonade est un plat typique des Flandres. À l’époque où l’Auberge était tenue par mes parents, j’en ai cuisinée des tonnes sans me poser de questions. Mais, quand j’ai pris leur suite, en 2010, je me suis rendu compte que tous les ingrédients utilisés pour cette recette venaient de loin : la viande de Pologne, les oignons de Bretagne, le pain d’épices était fabriqué avec du miel de Chine… Les restaurateurs ont peu l’occasion de se poser pour revoir leurs circuits d’approvisionnement. Il faut aussi prendre le temps de trouver des solutions pour pouvoir continuer à dégager de la marge. Mais, dans le cadre d’une démarche radicale comme la nôtre, qui renonce aux produits exotiques et achète tout en circuit court, c’est possible.
Comment êtes-vous passés au 100 % local ? Cela a-t-il été facile ?
F. L : La transition ne se fait pas du jour au lendemain. Nous avons commencé par aller à la boucherie du village, pour nous fournir en viande locale. Puis nous avons épuré notre carte en retirant tout ce qui venait de loin : chocolat, café, vanille, sucre de canne…. Nous les avons substitués par des ingrédients locaux, comme la chicorée ou la vergeoise (sucre non raffiné). Pour pouvoir étoffer notre carte, nous sommes sans cesse à la recherche de nouveaux produits de qualité autour de nous. Mais nous n’imposons rien à nos fournisseurs. Nous prenons ce qu’ils ont à nous proposer, en fonction de la saison. C’est à nous d’être créatifs et d’adapter nos recettes. Nous avons atteint le 100 % local depuis plus de dix ans maintenant. Même le sel vient du Nord de la France. En parallèle, il a aussi fallu nous battre pour défendre la gastronomie régionale.
Les gens ne croyaient pas au succès d’une gastronomie flamande ?
F. L : Le plus dur a été de casser les préjugés. Quand j’ai commencé, la cuisine du Nord n’existait pas dans l’esprit des gens. En outre, l’agriculture régionale était très tournée vers l’industrie. Les petits producteurs étaient discrets, il a fallu les trouver. Comme dit précédemment, je voulais aussi toucher un public plus large, lui montrer qu’il est possible de cuisiner des produits biologiques, achetés en circuits courts, et même de substituer certains ingrédients courants par d’autres, moins connus, sans que cela coûte plus cher. C’est pourquoi j’ai ouvert une dizaine d’autres adresses, à prix plus accessibles. J’ai choisi d’y appliquer une marge réduite, ce qui implique, pour rester rentable, d’être inventif dans l’anti-gaspillage. Nous ne jetons rien de comestible : les épluchures, les graines, les cosses et les fanes sont utilisés, tout comme le pain rassis. Là encore, cela démontre à nos clients qu’il est possible d’adopter une alimentation plus écologique et locale, sans dépenser plus.
Vous avez aussi aidé vos fournisseurs à étoffer l’offre de produits locaux. Comment ?
F. L : Les terres du nord de la France sont mobilisées par quelques cultures : pommes de terre, carottes, betteraves… au point qu’on a tendance à assimiler les autres légumes au pourtour méditerranéen. Pourtant, nos sols sont très fertiles. Les tomates, les courgettes et les aubergines, mais aussi les cerisiers, les pêchers et les citronniers, y poussent très bien. La preuve, c’est qu’il y en a au Danemark. C’est donc aux acheteurs d’impulser et de soutenir le changement. En tant que client de longue date, et parce que mes restaurants ont du succès, je peux me permettre de suggérer à des maraîchers de se mettre à faire tel ou tel légume, en leur faisant la promesse que, s’ils suivent cette idée, je leur achèterai les premières récoltes. Ainsi je pourrai étoffer la carte de mes restaurants, tandis qu’eux pourront, si les nouvelles cultures sont réussies, trouver d’autres clients.
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